Le CRIIGEN, anti-vaccin mais pro-homéo !
Michel Georget, membre du conseil scientifique du CRIIGEN, anti-vaccin, au congrès de l'IPSN en octobre 2015
Surtout connu pour son engagement contre les OGM, le CRIIGEN est un assemblage hétéroclite de scientifiques et de professionnels de tout poil (cuisiniers, politiciens, agriculteurs, avocats …) qui s’associent pour peser dans le débat public… sur des sujets très divers. Danger des vaccins et homéopathie miraculeuse, sous la façade de sérieux scientifique, se cache une idéologie anti-moderne qui fait feu de tout bois !
L’aveuglement anti-OGM
Gilles-Eric Séralini est, sans conteste, le membre le plus célèbre du « Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique » ou CRIIGEN, grâce à ses études sur des rats gavés aux maïs OGM et au glyphosate. Pas de chance, ses travaux ont été recalés par toutes les instances scientifiques et par de nouvelles études, plus robustes scientifiquement, qui n’arrivent pas aux mêmes conclusions que lui. Non, il n’y a pas de risques associés à la consommation humaine d’OGM et de traces de glyphosate.
Cela ne l’a pas empêché de se servir de ses précédents résultats sur les OGM et le glyphosate pour assurer qu’un médicament homéopathique « le Digeodren » permet de « détoxifier » l’organisme des rats « empoisonnés ». Séralini est le premier à le reconnaître : « les résultats m’ont moi-même bluffé ». On le serait à moins, puisque le mécanisme de l’homéopathie repose sur la « mémoire de l’eau », une théorie selon laquelle l’eau garderait la forme (et les propriétés chimiques associées) d’une molécule même lorsque celle-ci n’est plus présente. Cela va à l’encontre de toutes les connaissances actuelles en matière de physique !
Séralini n’est pas le seul au sein du CRIIGEN à dériver du sujet des OGM et des pesticides vers des terrains plus spécieux. Christian Vélot, un autre ténor du comité, assure en 2018 que des doutes existent par exemple sur le vaccin contre l’hépatite B, car produit à partir d’une levure boulangère transgénique. Mais, « l’origine de ce supposé lien de causalité n’a pas été élucidée » a-t-il le scrupule de préciser. On notera que l’éthique scientifique voudrait qu’il développe sa démonstration avec des preuves, plutôt que d’affirmer et de reconnaître ensuite qu’il n’y a rien pour étayer son point de vue.
Les croyances avant la science
Gilles-Eric Séralini et Christian Vélot font pourtant figure de modèles d’intégrité scientifique en comparaison d’autres membres du CRIIGEN.
De loin le plus véhément quant au supposé danger des vaccins, Michel Georget (professeur de biologie retraité) a été président de la LNPLV (Ligue Nationale pour la Liberté des Vaccinations) entre 1992 et 1993, association qui assure par exemple que « Non ! Les vaccinations n’ont pas fait régresser les épidémies ».
Depuis lors, Michel Georget n’a pas varié dans ses déclarations, soutenu par le CRIIGEN, dont il est membre du conseil scientifique, qui publie ses tribunes et analyses. En 2007, le professeur retraité considère qu’« on retrouve pour ces vaccins [en particulier ceux contre l’hépatite B] à base d'organismes chimériques [OGM] les mêmes problèmes que pour les végétaux : dissémination de gènes dans une population animale ou humaine avec le risque de recombinaisons incontrôlables ». En 2017, toujours le même refrain, mais plus masqué : les progrès de l’hygiène expliqueraient entièrement l’amélioration de la santé globale, les dangers des vaccins seraient occultés faute d’un suivi suffisant de la population.
En 2015, le CRIIGEN a même organisé un séminaire (trois jours) auquel participaient Séralini et Vélot, et à l’occasion duquel Michel Georget a présenté ses vues sur les « OGM et la fabrication des vaccins ».
Plus globalement, le CRIIGEN semble fonctionner comme un agrégat de personnes aux convictions bien arrêtées qui se soutiennent mutuellement. A cet égard, Isabelle Chivilo, membre du conseil d’administration, constitue un bon exemple. Cette médecin-homéopathe n’est elle-même à l’origine d’aucune étude, mais agit dans plusieurs réseaux d’associations, dont l’AIMSIB (« Association Internationale pour une Médecine Scientifique Indépendante et Bienveillante », bienveillance qui s’exprime à l’égard de l’homéopathie ou du jeûne, mais haro contre « le mythe du cholestérol tueur » et les vaccins de toutes sortes). Se servant de ces différentes portes d’entrée dans les organisations auxquelles elle est affiliée, Isabelle Chivilo est ainsi l’auteure d’une réponse à la lettre ouverte des 124 médecins contre les « fake médecines » dans lequel, entre deux attaques ad hominem, elle leur enjoint de… « laisser ses croyances derrière soi » ! Enfin, elle est très active sur les réseaux sociaux pour soutenir ces camarades et critiquer leurs adversaires.
Si Isabelle Chivilo se fait vociférante, les autres homéopathes du CRIIGEN adoptent une démarche plus insidieuse. Le président du CRIIGEN, Joël Spiroux de Vendômois (médecin, homéopathe, acupuncteur, professeur de médecine chinoise…) se pose en expert : chargé de cours au DUMETRAC (Diplôme Universitaire de Médecine Traditionnelle Chinoise créé avec « le soutien des autorités chinoises ») à la faculté de Médecine de Bobigny, formateur en santé environnementale des laboratoires Boiron. Question « indépendance » (le deuxième i de CRIIGEN), on a vu mieux… Joël Spiroux préfère d’ailleurs ne pas faire mention de ses accointances avec le fameux labo d’homéopathie dans son CV « officiel » sur le site du CRIIGEN.
Enfin, Jacques Testart, le père du premier bébé éprouvette français (et aussi un membre du CRIIGEN) est un fervent défenseur de Jacques Benveniste, « le découvreur » de la « mémoire de l’eau » qu’utilise l’homéopathie pour expliquer son fonctionnement. Cela lui a d’ailleurs valu une volée de bois vert de la part du physicien Hubert Krivine qui lui reproche de « faire croire que la « mémoire de l’eau », malgré les profits juteux qu’elle aurait pu procurer à l’industrie de l’homéopathie, est morte, victime de la science officielle, est peu convaincant et à la limite de la démagogie ». Testart bascule également dans la thèse que les vaccins sont un nouveau « jackpot » pour les laboratoires et a signé une tribune en ce sens avec Philippe Even et Michèle Rivasi.
Le CRIIGEN, la technocratie du doute au service de la carrière de politicien(ne)s
Que ce soit sur les OGM, le glyphosate, les vaccins ou l’homéopathie, la logique est la même : offrir une apparence de discours scientifique utilisable à des fins politiques. La fondation du CRIIGEN par Corinne Lepage (qui en est toujours présidente d’honneur) relève de cette stratégie. L’ex-ministre de l’écologie, ancienne eurodéputée et toujours avocate n’a en effet pas ménagé ses efforts pour assurer qu’il y a de la « désinformation » sur les vaccins. Elle penche ainsi volontiers en 2010 en faveur de la théorie du complot, en affirmant que les critères de l’OMS de définition d’une pandémie ont été modifiés quinze jours avant que soit déclarée celle du H1N1 (la grippe aviaire). Elle a aussi regretté que le Parlement européen refuse la création d’une enquête parlementaire sur le sujet de la gestion du virus H1N1.
Dans sa lutte contre les vaccins, Corinne Lepage est épaulée par Michèle Rivasi, eurodéputée EELV et ancienne directrice de Greenpeace France (entre autres choses). Cette dernière s’est ainsi associée à Lepage concernant le H1N1, mais est beaucoup plus directe dans ses accusations. Non contente de présenter les vaccins comme une manne pour l’industrie pharmaceutique avec Jacques Testart, elle signe aussi la préface de l’édition 2017 du livre de Michel Georget « Vaccinations, les vérités indésirables ». Elle a d’ailleurs été épinglée par ses collègues eurodéputés (y compris écologistes) et les journalistes pour ses thèses complotistes à ce sujet. En février 2017, elle a en effet organisé des projections-débats du film « Vaxxed » en compagnie d’Andrew Wakefield, médecin radié en Grande-Bretagne pour avoir fabriqué une étude sur le lien entre le vaccin contre la rougeole et l’autisme, faisant subir au passage des examens douloureux à des enfants malades.
Dérive scientifique du CRIIGEN, quasiment tous les membres affectés
Le CRIIGEN est donc loin d’être seulement une organisation de critique des OGM et des pesticides, il s’agit aussi d’un organe de diffusion de thèses qui confinent au complotisme et sans base scientifique sérieuse sur les vaccins et l’homéopathie. Engagé dans une logique pernicieuse, le comité désigne les maux (les OGM, les pesticides et les vaccins) et leur cure (l’homéopathie).
A ce petit jeu, la plupart des membres du CRIIGEN non-nommés dans cet article y cèdent à un moment ou un autre. Philippe Desbrosse (agronome) a par exemple participé à un congrès d’« écomédecine » qui faisait la part belle à l’homéopathie (et auquel participait aussi Gilles-Eric Séralini). Arnaud Apoteker (ancien responsable de campagne de Greenpeace et ancien salarié du groupe écologiste au parlement européen) a donné une conférence pour les 50 ans de la Ligue Nationale pour la Liberté de vaccinations (l’association dont Michel Georget a été président). Pierre-Henri Gouyon (biologiste) a, lui, signé une pétition de cette Ligue et affirmé que le Sida avait été créé par les campagnes de vaccination en Afrique.
Seul un membre du CRIIGEN se différencie vraiment des autres : Alain Grimfeld, pédiatre spécialiste de l’asthme qui a clairement pris position en faveur de la vaccination et rejeté les critiques infondées. Il est donc curieux de le retrouver au sein d’un tel aréopage, d’autant que hormis sa mention parmi les membres du conseil d’administration du CRIIGEN, il semble ne s’être jamais revendiqué de cette organisation.
Egalement, la toxicologue Annette Lexa indique avoir démissionné du conseil d'administration du CRIIGEN en 2018 et ne partager « ni ses idées sur l'homéopathie, ni sur les vaccins ». Au terme d'un contrat CIFRE (destiné aux doctorants en entreprise) mené dans les laboratoires Boiron (leaders mondiaux de l'homéopathie) à la fin des années 80, elle affirme ne pas « croire en l'homéopathie » et juge que la théorie de la mémoire de l'eau conceptualisée à la même époque par Jacques Benveniste était une « hypothèse malheureuse et prématurée ». La toxicologue explique que son intérêt pour l'homéopathie est relatif à sa réflexion sur des questions du type « que viennent chercher les gens qui se soigent ainsi ? Comment fonctionne l'effet placebo dans la consultation ? Dans la croyance partagée ? »
Dans ces conditions, mieux vaut pour Benoît Biteau, un agriculteur fraîchement intégré au sein du CRIIGEN, qu’il comprenne bien où il met pied. D’autant plus que l’IPSN (anti-vaccin, pro-médecines alternatives), organisation avec laquelle il a eu récemment maille à partir, est proche du CRIIGEN et de l’AIMSIB (dont fait partie Isabelle Chivilo). Globalement, mieux vaut que toute personne qui s’intéresse aux causes du CRIIGEN comprenne bien tout le « package » scientifique et idéologique que cela inclut !
[Article mis à jour le 13 février 2019] : A la suite d'échanges avec la toxicologue Annette Lexa via Twitter, par mail et via son commentaire à la suite de cet article, le passage suivant a été retiré du corps du texte :
"Idem pour Annette Lexa-Chomard. Doctorat en toxicologie de l’université de Metz en poche, elle fait de la retape pour l’homéopathie aux côtés des patrons des entreprises homéo Lehning et Boiron et assure que le rejet de l’efficacité de l’homéopathie par les chercheurs n’est pas une question de science, mais de « philosophie »."
Et remplacé par un paragraphe que vous pouvez lire dans la partie « Dérive scientifique du CRIIGEN, quasiment tous les membres affectés ».