Qui s’oppose à l’utilisation des crèmes solaires sur les plages ?
A l’occasion de son édito estival, Alexandre Imbert (dirigeant d’Alternative Santé), teint hâlé, lunettes de soleil et chemise à fleurs, nous conseille de ne pas mettre de crème solaire, vendue par « les fabricants ». Dans cette vidéo, il suggère de recourir à d’autres solutions plus naturelles et avantageuses, surtout pour lui.
« Mettre de la crème solaire, c’est pire que le soleil »
Le dirigeant du magazine « totalement indépendant des pouvoirs publics et des laboratoires pharmaceutiques », explique, dans un message déculpabilisant, que le soleil est très bon pour la peau et permet de prendre de la vitamine D, qu’il faut donc en profiter.
Pour ne pas attraper le cancer de la peau ? « Mettre de la crème solaire, c’est pire que le soleil ». Dans une grande démonstration ‘scientifique’, Alexandre Imbert dit être inquiété par le maintien de la consistance de la crème soumise à des températures élevées sur les plages. Pourquoi ? On ne le sait pas. Ensuite, il nous interpelle sur les conséquences d’un corps recouvert de crème au soleil, qui seraient comparables à celles d’ordures dans un sac plastique en plein cagnard : « ça pue ».
Il prend garde, tout de même, de conseiller à ses spectateurs de ne pas s’exposer aux heures les plus chaudes, mais mettre de la crème solaire, surtout pas ! Il faut privilégier « des moyens naturels de préparer sa peau et même de l’alimentation ».
Une science très approximative
Cette prestation scientifo-comique trouve sans doute son inspiration dans quelques mauvaises interprétations d’études, qui circulent sur le web. En effet, les bons conseils d’Alexandre Imbert viennent en écho, par exemple, d’une importante polémique déclenchée, il y a quelques semaines, sur les réseaux sociaux au Québec. Jacynthe René, actrice et animatrice d’un webmagazine consacré à la santé et à la beauté, a fait référence dans un post sur Facebook à une étude suédoise qui conclurait à « un risque de mélanome plus important chez des adultes protégés par de la crème solaire que chez les autres ».
Seulement, il s’agit d’une mauvaise interprétation de l’étude citée. Pour un pharmacien blogueur (Le Pharmachien), les auteurs de l’étude suédoise concluent que les personnes qui se mettent plus de crème solaire, sont celles qui passent plus de temps au soleil : « c’est pour cette raison qu’ils ont un taux plus élevé de mélanome. Pas à cause de la crème solaire… ».
Concernant le discours déculpabilisant sur bienfaits du soleil en matière de vitamine D, vantés par Jacynthe René et Alexandre Imbert, le Pharmachien remet aussi les pendules à l’heure. Les carences en vitamine D, pouvant entraîner une légère augmentation du risque de mortalité, ne concernent que ceux dont la peau est très claire et qui vivent dans des pays avec très peu de lumière, comme la Suède en hiver. Cela peut être compensé par des compléments. Pour les autres, une exposition de quelques minutes chaque jour est suffisante. Par contre, il est démontré qu’attraper des coups de soleil augmente fortement le risque de cancer de la peau.
Sur les produits naturels à privilégier pour une protection solaire, Jacynthe René est plus précise qu’Alexandre Imbert, par exemple : le karité et le zinc « qui ne nous empêchent pas d’absorber la vitamine D ». Sauf que, comme l’explique le Pharmachien, soit le produit est efficace et bloque les rayons UV réduisant ainsi la production de vitamine D, soit il permet une absorption normale de la vitamine D et ne protège alors pas contre les coups de soleil.
L’appât du gain au détriment de la santé publique
Mais alors, pourquoi ce directeur de publication et cette actrice canadienne se prononcent-ils à l’encontre des crèmes solaires ? L’un comme l’autre, à la tête de magazines prônant des conseils de « vitalité, bonheur et santé » ou de « médecine naturelle », ne se contentent pas de ces ‘bons conseils’.
JMagazine de Jacynthe René, propose, en plus des articles, des recettes, une boutique (comprenant huiles essentielles, produits naturels, livres, DVD, fruitier, etc.), des conférences et camps d’été. Pour sa part, Alexandre Imbert est à la tête de plusieurs sociétés, dont Santé-Port-Royal (qui édite Alternative Santé), La Vie Naturelle (un site de vente en ligne qui propose des « produits d’origine naturelle ») et Soignez-vous.com (le site des thérapies naturelles). Il s’agit donc avant tout de commerçants, prêts à concéder quelques approximations pour mieux promouvoir leurs solutions et produits.
En la matière, il ne s’agit pas d’une première provocation pour Alexandre Imbert. En effet, plusieurs publications de Santé Port-Royal se sont déjà vues retirer les avantages fiscaux et postaux, normalement accordés à la presse. Le Conseil d’Etat avait jugé qu’il s’agissait de « publications présentant un danger pour la santé publique ».
En prônant de s’abstenir de mettre de la crème solaire, privilégiant ainsi les risques de coup de soleil, Alexandre Imbert pourrait une cinquième fois se voir retirer son agrément de la CCAP (Commission paritaire des publications et agences de presse), lui permettant de bénéficier d’exonérations. Peu importe, à chaque retrait d’agrément, la société relance un magazine similaire avec un nom différent, pour bénéficier des avantages fiscaux et postaux.
Conclusion, un magazine « totalement indépendant des pouvoirs publics et des laboratoires pharmaceutiques », ne signifie pas totalement indépendant du marché, des conflits d’intérêts et des manipulations dangereuses pour la santé publique.