Le fact-checking du terrorisme face aux « mercenaires de la désinformation »

Publié le par Laurent

Quelques heures après les attentats de Paris en janvier et novembre 2015, il est apparu sur la toile de nombreuses rumeurs mettant en doute la véracité des évènements. A partir d’images ou de bribes d’informations, le doute s’insinue dans les esprits sur ce qu’il s’est réellement passé. Quelle réponse apporter face à ces contestations de la « version officielle » ? Les médias recourent fact-checking, cela n’est pas suffisant.

L’explication rationnelle des évènements par les médias

Suite à l’attaque de Charlie Hebdo, de nombreux internautes se sont étonnés de la vitesse à laquelle François Hollande s’est rendu sur place, de la couleur de rétroviseurs qui aurait changé ou encore qu’une pièce d’identité ait été retrouvé dans la voiture abandonnée.

Face à cela, des médias, comme L’Express, ont décortiqué les différentes thèses des internautes, afin d’apporter des éléments rationnels de réponse aux doutes. Par exemple, pour expliquer que François Hollande soit présent sur les lieux très rapidement, L’Express détaille que « compte tenu des conditions de circulation à Paris, c'est à 29 minutes en voiture pour un automobiliste "normal". Pour aller plus vite, le chef de l'Etat peut néanmoins sortir le gyrophare... Or, en roulant à 60 km/h en moyenne, le trajet dure seulement cinq minutes. »

De telles réponses aux suspicions sont devenues un sport quotidien pour certains grands médias, via le fact-checking (la vérification par les faits). Le Monde avec Les décodeurs ou Libération avec désintox vérifient en continu des informations,

Une défiance envers les médias et leur fact-checking

Le fact-checking ne semble toutefois pas une réponse suffisante pour stopper les rumeurs.

Tout d’abord, parce qu’il s’intéresse majoritairement aux politiques et traitent de ces questions de rumeurs et des complots manière secondaire. Au-delà la « Vérité » révélée par ces journalistes n’est pas perçue comme légitime par tous. De fait, Vincent Glad explique, dans un article intitulé «Fact-checking, le malaise » que « la vérité journalistique que produit les fact-checkeurs ne s’impose pas à tous ». Ceci, parce que la confiance accordée, aujourd’hui, aux médias est faible. Seul 30 % des français leur accorde leur confiance, selon le baromètre CEVIPOF de février 2015.

Cette défiance envers les médias, comme envers les politiques ou les scientifiques, laisse une grande place pour des discours alternatifs plus séduisants, qui ont désormais toute liberté de se propager sur les réseaux sociaux. Parmi ces discours, les théories du complot occupent une place considérable.

L’attrait pour les théories du complot

Ces théories du complot, comprises au sens large, sont à distinguer des rumeurs liées à tel ou tel fait, comme celle décrites ci-dessus à propos de détails de l’attaque de Charlie Hebdo. Elles en sont l’arrière-plan, une grille de lecture séduisante. En effet, les théoriciens du complot apportent à leur auditoire une vision du monde cohérente, de nature à satisfaire leur besoin de comprendre, de se situer dans un environnement complexe.

Parmi ces théories, il est fréquemment fait référence à des sociétés secrètes qui dirigeraient le monde en sous-main, tels que le complot judéo-maçonnique ou les illuminatis, souvent décrits comme des extra-terrestres reptiliens humanoïdes.

Dans ce cadre, concernant le terrorisme islamiste, les sous-entendus insinués par la remise en cause de tel ou tel fait (couleur des rétroviseurs, présence rapide de François Hollande, passeport retrouvé) sont très souvent en lien avec l’idée qu’il s’agirait d’actions fomentées par les services secrets occidentaux. Se retrouvent dans cette forme de dénonciation aussi bien « le nationalisme identitaire d’extrême droite que le référent islamique » explique Gilles Kepel.

Les mercenaires de la désinformation

A cet égard, le reportage d’Envoyé Spécial sur « les adeptes du soupçon » (ci-dessous) montre comment certains surfent systématiquement sur ces croyances complotistes après les attentats. Rudy Reischtadt du site Conspiracy Watch les appellent les « mercenaires de la désinformation ». Parmi eux, le reportage présente notamment Icham Hamza de Panamza, Alain Soral d’Egalité ou Réconciliation ou le Réseau Voltaire de Thierry Meyssan


VIDEO. Envoyé spécial. Les adeptes du soupçon

Dans le reportage, l’indépendance affichée de Thierry Meyssan, désormais résident en Syrie, est mise en cause. De la même manière, Street Press avait décrypté un « système Soral », pas vraiment désintéressé, puisqu’il mêle « web-activisme, business et droite radicale ».

En conséquence, il faut bien comprendre que les suspicions relatives aux attentats, qui peuvent être légitimes, sont pour la plupart l’œuvre d’idéologues, ou de leurs fidèles conditionnés par une vision complotiste du monde.

Du fait de leur caractère systématique, ces suspicions ne visent pas, en premier lieu, à rétablir une vérité objective mais plutôt à crédibiliser par tous moyens la croyance d’un monde guidé par des organisations occultes, les services secrets occidentaux, les sionistes etc.

Une absence de sens critique

Pour Sophie Mazet, professeur d’Anglais au lycée à Saint-Ouen qui anime des ateliers d’esprit critique avec ses élèves, cette suspicion systématique « est la même chose que la crédulité totale ». Pour elle, « si on rejette absolument tout, c’est pas du tout une méthode, c’est une posture. Ca nous dispense complétement de réfléchir sur un quelconque problème, puisqu’on sait qu’on va rejeter n’importe quelle version d’un évènement à partir du moment où il s’agit, entre guillemet, de la version officielle » (interview ci-dessous).


Sophie Mazet : "le scepticisme total est une... par Europe1fr

Pour résumer, des « mercenaires de la désinformation » profitent d’évènements, tels que les attentats survenus à Paris en 2015, pour instiller systématiquement le doute sur la « version officielle ». Ce faisant, ils accentuent encore la défiance envers les médias, les politiques et les institutions. Cette défiance généralisée, cette perte de repère, est le terreau idéal pour faire prospérer leurs idéologies complotistes et/ou leurs petits business.

Dans ce contexte, si la vérification des faits par le fact-checking peut apporter ponctuellement quelques réponses à tel ou tel fait contesté, elle n’est pas de nature à contrer un discours, une vision du monde cohérente et séduisante.

Ainsi, le sens critique ne doit pas s’arrêter aux faits rapportés, mais il doit également s’exercer sur les auteurs des critiques, leurs moyens, leurs intentions. C’est que je tente de faire sur ce blog (sur des sujets comme le djihadisme, mais également l’électrosensibilité, les vaccins, les crèmes solaires, le climat …).

Après une telle analyse, libre à chacun de choisir entre les versions des « médias officiels » ou celles de « mercenaires de la désinformation ».

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